Inscrivez- vous au sommaire électronique
Recevez à chaque sortie d'exercer, le sommaire de la revue.
Rubrique: EDITORIAL
Auteurs: Gocko X.
Citer cet article: Gocko X. Sommes-nous des phronémos ?. exercer 2024;207:387.
Lien URL: https://www.exercer.fr/full_article/2678
« Pour agir avec prudence, il faut savoir écouter. »
Sophocle
L’article « éducation » de ce n° 207 d’exercer propose une analyse de 234 récits de situation complexes authentiques (RSCA) réalisés par 48 étudiants militaires. Un peu plus d’un tiers des recherches effectuées par ces étudiants concernaient des recommandations
biomédicales. D’autres domaines étaient questionnés comme la relation médecin-patient (18 %) et des questions militaires (5 %).
À la lecture de cet article et d’autres sur les traces écrites d’apprentissage (TEA), la communauté des maîtres de stage des universités peut se réjouir de cet esprit réflexif et de ce pas vers l’evidence based medicine (EBM). Le modèle pédagogique d’apprentissage par compétence fonctionne !
La lecture de l’article de Cosgrove et coll. modère quelque peu cet enthousiasme. Les auteurs nous rappellent les vertus intellectuelles décrites par Aristote, les connaissances scientifiques (épistémè), les connaissances techniques (technè), la perspicacité intellectuelle (noûs), la sagesse philosophique (sophia) et la sagesse pratique (phronesis). Ils nous proposent de nous engager sur la voie du phronésis2. Si vous demandez à Chat GPT® ce qu’est un phronémos (ou phronimos), il répond : « un individu sage ou prudent, capable de faire des choix éclairés et éthiques ». Pour Cosgrove, le phronémos s’extirpe du schéma pourtant encore très enseigné dans le deuxième cycle : un trouble, des hypothèses, un diagnostic, un traitement. Les algorithmes proposés dans les recommandations deviennent alors insuffisants pour des soins de qualité. Ils ne permettent pas d’éviter la médicalisation et la surmédicalisation de l’expérience humaine2.
Prenons un des exemples qu’ils utilisent : le prédiabète. Si vous recherchez ce terme sur Google®, des sites de patients et de médecins s’accordent pour le qualifier d’« enjeu de santé publique » et pour le dépister et le traiter3,4. Si vous consultez la source Cochrane et sa méta-analyse sur le sujet, la conclusion est différente : « Compte tenu de l’incertitude des données probantes disponibles, ainsi que des fluctuations de la normoglycémie, de l’hyperglycémie intermédiaire et du diabète de type 2, qui peuvent passer d’un stade à l’autre dans les deux sens même après des années de suivi, les praticiens devraient être prudents au regard des implications potentielles de toute intervention active pour les personnes atteintes d’hyperglycémie intermédiaire »5. L’essai DIRECT qui a proposé à des patients diabétiques de type 2 d’arrêter leurs antidiabétiques oraux et de perdre du poids confirme la possibilité des rémissions, et ce même à 5 ans6…
Nous avons appris à réfléchir à nos actions avec l’apprentissage par compétence. Nous avons appris à modifier nos décisions avec l’EBM, le recours permanent à un arbitrage entre les dernières données de la science, le contexte de soin et les choix des patients. ll est probablement temps de développer notre phronésis. Là où la plupart des médecins réalisent des « bilans » avec une glycémie à jeun, le phronémos sort du schéma maladie-traitement et explique avec humilité sa prudence au patient. Les deux acteurs peuvent alors penser en termes « d’obstacles à la santé » plutôt qu’en termes de pré-maladie et maladie.
À l’aune de la quatrième année, ne serait-il pas temps de réfléchir à ajouter la phronésie à nos grilles d’évaluation des RSCA, et à nos grilles d’évaluation des compétences ? Ne faudrait-il pas en faire un critère de (re)certification ? Ainsi, nous serions tous des phronémos…
‘To act prudently, you have to know how to listen’.
Sophocles
The ‘education’ article in exercer 207 analyses 234 authentic complex situation narratives (CCSRs) produced by 48 military students. Just over a third of the research carried out by these students concerned biomedical recommendations. Other areas of enquiry included the doctor-patient relationship (18%) and military issues (5%).
On reading this article and others on written learning outcomes (WLEs), the community of university training supervisors can take heart from this reflective spirit and this step towards evidence-based medicine (EBM). The competency-based learning model works!
Reading the article by Cosgrove et al. moderates this enthusiasm somewhat. The authors remind us of the intellectual virtues described by Aristotle: scientific knowledge (episteme), technical knowledge (technè), intellectual insight (noûs), philosophical wisdom (sophia) and practical wisdom (phronesis). They suggest that we embark on the path of phronesis2. If you ask Chat GPT® what a phronemos (or phronimos) is, he answers: ‘a wise or prudent individual, capable of making informed and ethical choices’. For Cosgrove, the phronemos breaks away from the schema that is still widely taught in postgraduate courses: a disorder, hypotheses, diagnosis and treatment. The algorithms proposed in the recommendations are therefore insufficient for quality care. They do not prevent the medicalisation and over-medicalisation of the human experience2.
Let's take one of the examples they use: pre-diabetes. If you search for this term on Google®, patient and doctor websites agree that it is a ‘public health issue’ and that it should be detected and treated3,4. If you consult the Cochrane source and its meta-analysis on the subject, the conclusion is different: ‘Given the uncertainty of the available evidence, as well as the fluctuations in normoglycaemia, intermediate hyperglycaemia and type 2 diabetes, which can move from one stage to another in either direction even after years of follow-up, practitioners should be cautious about the potential implications of any active intervention for people with intermediate hyperglycaemia ’5. The DIRECT trial, which offered type 2 diabetes patients the chance to stop taking oral antidiabetic drugs and lose weight, confirms that remissions are possible, even after 5 years6...
We have learned to reflect on our actions with competency-based learning. We have learned to modify our decisions with EBM, the constant recourse to arbitration between the latest scientific data, the context of care and patients' choices. It is probably time to develop our phronesis. Where most doctors carry out ‘check-ups’ using fasting blood sugar levels, phronemics break out of the disease-treatment pattern and humbly explain their caution to patients. Both players can then think in terms of ‘obstacles to health’ rather than in terms of pre-illness and illness.
As we enter the fourth year, isn't it time to think about adding phronesis to our CSR assessment grids, and to our skills assessment grids? Shouldn't we make it a criterion for (re)certification? Then we'd all be Phronemes...