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Rubrique: EDITORIAL
Auteurs: Rochoy M.
Citer cet article: Rochoy M. La liberté d'être inégalitaire. exercer 2021;178:435.
Lien URL: https://www.exercer.fr/full_article/1834
" Ne l’oubliez jamais : celui qui laisse se prolonger une injusticev ouvre la voie à la suivante." Willy Brandt
Quand vous êtes venus à Lille pour assister au congrès du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) le 1er décembre, entre deux gares, vous êtes peut-être passé sous cette citation de Willy Brandt, ancien chancelier fédéral et prix Nobel de la paix 1971.
Pendant la pandémie de Covid-19, les personnes précaires ont été surexposées par des métiers ne permettant pas souvent le télétravail, les obligeant à partager des transports en commun, des lieux de travail et/ou de restauration collective. Ces personnes précaires ont également un sur-risque de formes graves liées aux comorbidités, et souffrent davantage des restrictions sanitaires tant sur le plan physique, psychologique que social et économique1. Le port du masque généralisé, tardivement recommandé dans les lieux clos (juillet 2020), les entreprises (septembre 2020) et les écoles primaires (novembre 2020), a été une mesure permettant de diminuer ces inégalités – chacun protégeant son prochain, presque indépendamment de son niveau de vie2,3. Le masque a permis de retrouver davantage de liberté, avec un meilleur respect de l’égalité et de la fraternité.
Les injustices face à la prévention se succèdent, et après celle des masques vint celle des vaccins. Depuis juin 2021, alors que la vaccination est ouverte à tous, une nouvelle question brûle toutes
les lèvres : « pourquoi certains attendent de se faire vacciner ? ». Nous entendons régulièrement ceux qui appellent à la liberté, mais jamais d’appel à l’égalité d’accès aux vaccins. Si les plus précaires ne créent pas de hashtags en tête des tendances sur Twitter, nous avons souhaité les rendre visibles sur ce réseau social, à travers 123 consultations menées le 28 juin 2021 par des professionnels de santé4. Dans cette enquête, ceux qu’on appelle les « complotistes » et qui défraient la chronique ne représentaient que 6 % des non-vaccinés, soit autant que ceux attendant d’être vaccinés à domicile ou ceux souhaitant l’être par leur médecin généraliste ou leur pharmacien. Un quart des patients procrastinaient devant la prise de rendez-vous, un quart n’en ressentaient pas l’utilité et un tiers évoquaient un manque de recul à long terme. S’ils avaient eu un vaccin à ARNm disponible lors de la consultation, les professionnels de santé affirmaient pouvoir vacciner 31 % de ces personnes non vaccinées, rappelant l’importance d’avoir suffisamment de vaccins en ville, ou dans des lieux de passage, pour améliorer l’égalité face à l’accès à la vaccination, sans sélection sur l’habileté informatique.
Début juillet 2021, après deux mois de réclamations5, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a accepté que les médecins généralistes aient un accès simplifié à la liste de leurs patients non vaccinés, en les incitant à « ne pas essayer de convaincre, mais informer et sensibiliser », en insistant sur le fait qu’ils sont « défavorables » à ces listes. En réalité, il s’agit de données dont les médecins disposaient déjà avec le numéro de Sécurité sociale de leurs patients, via Vaccin Covid (avec l’accord de la Cnil, donc…). L’intérêt de cette liste est de mieux identifier ceux qui n’ont pas pu avoir accès au vaccin, et ainsi améliorer l’égalité d’accès au vaccin, en s’appuyant sur des professionnels de santé de confiance, connaissant les difficultés physiques, psychologiques, psychiatriques, financières, sociales ou familiales de leurs patients. Il serait peut-être temps en France d’envisager une Commission nationale de l’informatique et de l’égalité.