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Rubrique: EDITORIAL
Auteurs: Charles R.
Citer cet article: Charles R. Sainte COREQ. exercer 2019;155:291.
Lien URL: https://www.exercer.fr/full_article/1206
« Un totem est une classe d’objets matériels que le sauvage considère avec un respect superstitieux et environnemental, croyant qu’il existe entre lui et chacun des membres de la classe une relation intime et tout à fait spéciale. »
James George Frazer
Priez pour nous, pauvres chercheurs ! Le culte totémique voué à la COREQ-321 m’irrite. Je reçois récemment d’une revue indexée internationale un magnifique article sur la vaccination. À la lecture du contexte, je distingue à peine ce que les auteurs comptent chercher, les résultats me précisent quelques trouvailles insipides, mais le chapitre méthode, très fourni, rédigé selon les règles de la COREQ, me donne toutes les précisions sur la haute qualité méthodologique de cette recherche : entretiens semi-structurés, analyse par méthode phénoménologique sémio-pragmatique, paradigme compréhensif... La durée des entretiens est méticuleusement mentionnée : dix minutes ! Par ailleurs, un de mes étudiants ayant réalisé un travail qualitatif dans le domaine des soins palliatifs reçoit du secrétaire de direction d’une revue d’outre-Atlantique une grille COREQ et un petit mot lui indiquant que l’article serait montré au rédacteur en chef quand chaque point de la check-list figurera dans le texte ! Ces scénarios se multiplient, et je suis sûr que certains d’entre vous les ont vécus.
Je voudrais rappeler seulement trois points. D’abord une évidence : la problématisation soutient l’édifice de l’ensemble d’un bon article « quali ». Lemieux, dans son traité d’écriture et de méthode, nous invite à l’exposer dès les premières lignes, comme une intrigue, l’élément à résoudre, à l’image d’un polar : le meurtre et quelques pistes2. En plus des indices, il faut lister les suspects, les témoins qui donneront de la solidité à l’enquête.
Le deuxième point s’oriente vers les résultats ! Atteignent-ils un niveau qui permet sinon de résoudre l’enquête (on ne trouve pas le coupable à chaque fois) mais au moins de la faire avancer ? Il s’agirait de laisser le lecteur dans un état de tension, certain de détenir des données probantes qui lui donneront envie de lire un jour le deuxième tome.
Que dire enfin de la méthode ? La rédaction devrait effectuer un pont entre le problème et les résultats et s’attacher à décrire précisément, mais simplement, le parcours choisi. Il s’agit de montrer que l’enquête, pour être résolue, devait s’appuyer sur un certain nombre d’outils cohérents et que les résultats annoncés peuvent être affirmés du fait de la qualité de cette méthode. La COREQ est une check-list, rien de plus. Le procédé a été inventé par l’aviation pour ne rien oublier avant le décollage. Il faut la faire, nul besoin de la scotcher dans le cockpit avec une guirlande et de l’encens !
La grille COREQ constitue un aide-mémoire didactique de critères de qualité qui, par leur présence, pourraient solidifier les résultats en recherche qualitative. Cependant, il ne doit pas devenir plus visible que les conclusions de l’enquête. Prenons pour finir l’exemple de la saturation des données, que chaque auteur affirme avoir atteint… Dans nos facultés, c’est plutôt la saturation des étudiants qui est mesurée ! Le résultat de l’enquête apporte la preuve de la saturation… pas le nombre d’interviewés, encore moins la croix dans la 22e case à cocher de la check-list ! Harvey Molotch, sociologue et méthodologiste, ironisait : « Le sociologue, c’est quelqu’un qui dépense 100 000 dollars pour étudier la prostitution et découvrir ce que le premier chauffeur de taxi venu aurait pu lui dire. » Mais l’interview du seul chauffeur ne permettrait pas d’apporter la preuve de la saturation, réprouverait sainte COREQ !